Est arrivé ce qui devait arriver : quelques énergumènes ayant la tête près du bonnet ont apporté leurs outils de bricolage pour faire un sort à cette œuvre de pure provocation – qui ne s’avoue pas comme telle, évidemment – exposée dans une galerie d’art avignonnaise. Une émotion obligatoire a, bien sûr, suivi cet acte de vandalisme chez les défenseurs professionnels de la liberté d’expression. Notre ministre de la Culture s’est indigné comme il se doit, lui qui s’était montré nettement plus pudique lorsqu’il s’agissait de défendre l’œuvre de Céline, il y a peu. Passons. Quant au directeur de la collection Lambert, il a usé d’un champ lexical bien pauvre pour qualifier le forfait commis : retour au Moyen Âge, à la barbarie, à l’Inquisition… Les clichés habituels, quoi.
Mais au fond, ces jeunes « ultracatholiques », loin de porter atteinte au succès de ladite exposition, vont lui assurer au contraire une publicité qu’elle n’aurait pas eue sans leurs coups de marteau et de tournevis. Preuve de l’instrumentalisation de leurs méfaits, le cadre endommagé n’a pas été réparé. S’agissant d’une photo sous verre, il aurait pourtant suffi d’un aller-retour chez Castorama et d’un retirage de la photo pour tout remettre en son état originel, le tout pour quelques dizaines d’euros. Là, en bons commerçants, les responsables du lieu ont choisi de la laisser abîmée, afin de montrer les outrages infligés par les suppôts de l’obscurantisme. Autodafés, chasse aux sorcières et gégène sont à nos portes, cherchent-ils à nous faire comprendre. Eux luttent pour la liberté d’expression. Enfin, surtout la leur. Une liberté no-limit, qui prétend vouloir susciter des réactions. Et lorsque les réactions se produisent réellement, on se mettra à pleurnicher comme Caliméro. En gros, ils aimeraient pouvoir cracher avec délectation sur le chaland en bénéficiant d’une impunité totale et d’une protection garantie.
Il est vrai que parmi les opposants les plus farouches à cette exposition figuraient – de façon ostensible – des groupes de chrétiens tellement catholiques qu’ils ont fini par sortir de l’Église. Mais, quoi qu’il en soit, cette question d’ecclésiologie ne regarde que les catholiques eux-mêmes plutôt que ces élus Verts de Paris qui excommunieraient volontiers ferendæ sententiæ ceux des catholiques qui croient vraiment en Dieu. De plus, j’avoue ne pas être persuadé que la violence soit la meilleure manière d’évangéliser. Reconnaissons cependant qu’il n’y a pas eu mort d’homme, et quand une blogueuse « militante républicaine et laïque » – sorte de Caroline Fourest d’extrême-droite – en vient à se livrer à des comparaisons et des prophéties délirantes, on aurait envie d’un peu plus de finesse dans l’étude de cas.
Certes, ces quelques agités n’ont pas fait dans la dentelle pour témoigner de leur colère face à cet énième crachat lancé sur leur foi, et plus précisément sur Jésus, lui qui en a suffisamment reçu juste avant d’être cloué sur une croix. Je n’irai pas jusqu’à les applaudir. Mais. Il semble bien que, alors qu’on condamne avec bruit et emphase le moindre « dérapage » verbal, on trouverait inepte que les chrétiens pussent recevoir le même respect que les fidèles d’autres religions ou que des ressortissants de la cause LGBT. Combien de fois a-t-on invoqué la loi Gayssot concernant des propos antichrétiens ? Il faut avouer que ces derniers n’ont pas, eux, des permanents salariés travaillant sans relâche à la traque de l’ennemi. L’inquisition a changé de mains, on dirait… On s’étonne même quand ils osent faire appel à la Justice ; sans doute estime-t-on, avec le bilan qu’on leur prête en astronomes grillés, qu’ils ont perdu ad vitam æternam tout droit civique. Notre république troque, dans les faits, sa devise « Liberté, égalité, fraternité » contre « Deux poids, deux mesures ».
Les médias mainstream pratiquent, eux, un filtrage symptomatique des informations : on relaie – sans hésiter à déformer à la limite de la caricature – tout ce qui sert à charge et on place sous embargo le reste. Le procédé fonctionnait à merveille en URSS, à la grande époque. Pas la peine d’encombrer le JT de 20 heures avec ça, ça, ça, ça, ça, ou encore ça : la presse locale s’en chargera dans la rubrique « chiens écrasés ». Profil bas est ainsi conseillé aux catholiques s’ils ne veulent pas qu’on leur brandisse le spectre des heures sombres dont ils sont coupables in solidum. L’épithète « obscurantiste » est automatiquement attribué à tout chrétien qui n’a pas rangé la foi des Apôtres au rayon « contes et légendes ». Mais, après tout, cette peur de déplaire à laquelle nous sommes tant sensibles, cette tentation de présenter des gages au monde et de passer sous ses fourches caudines, cette recherche d’un adoubement consensuel, sont peut-être des conditionnements moraux dont nous devons apprendre à nous défaire. Le croyant ne doit pas mesurer sa foi à l’aune des commentaires de journalistes antiromains, mais face au Christ qui doit rester son seul modèle.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.